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Soutenance de thèse de doctorat : Zoé Ouangré a étudié le comportement des étudiants dans la recherche d’information

« Le comportement dans la recherche d’information des étudiants au doctorat en médecine au Burkina Faso », c’est le sujet de la thèse de doctorat (Ph.D.) soutenue en décembre dernier par Zoé Aubierge Ouangré à l’Université de Montréal au Canada. Son champ de recherche, la bibliothéconomie paraît négligée dans nos pays alors qu’elle comporte de grands enjeux à l’ère de la société de l’information où la création de richesses repose beaucoup sur la gestion de l’information. Cette enseignante à l’Université Norbert Zongo nous explique l’importance de la bibliothéconomie dans nos sociétés où la surabondance des données ne facilite pas toujours la recherche de l’information fiable.

C’est quoi la bibliothéconomie qui est votre domaine de recherche ?

La bibliothéconomie, tout comme l’archivistique, sont des disciplines rattachées aux sciences de l’information qui traitent les différentes étapes de la chaîne documentaire, à savoir la création, la collecte, la sélection, l’organisation, l’évaluation, la diffusion, la transformation et l’utilisation d’informations de toute nature. Traditionnellement, la bibliothéconomie se concentre sur l’information publiée tandis que l’archivistique traite l’information créée et utilisée dans les organisations.

Selon une conception nouvelle de la bibliothéconomie développée par des chercheurs comme R. David Lankes, « la mission d’une bibliothèque est d’améliorer la société en facilitant la création de connaissances dans sa communauté ». Ainsi, une bibliothèque doit remplir plusieurs missions : permettre un accès libre à l’information, générer de la richesse, permettre aux apprenants l’acquisition de compétences informationnelles, être un filet de protection sociale, une gardienne du patrimoine culturel et un espace communautaire.

Pourquoi avez-vous choisi de travailler sur « Le comportement dans la recherche d’information des étudiants au doctorat en médecine au Burkina Faso » ?

Cette recherche, première du genre en Afrique de l’Ouest francophone, avait pour but de comprendre le comportement dans la recherche d’information des étudiants au doctorat en médecine à l’Université Joseph Ki-Zerbo au Burkina Faso. Elle examine comment les étudiants en médecine s’y prennent pour trouver l’information dont ils ont besoin dans le cadre de la rédaction de leur thèse. J’ai voulu travailler sur ce sujet pour identifier les besoins informationnels des étudiants burkinabè et les barrières auxquelles ils doivent faire face en matière de recherche d’information. Cela pourrait permettre de faire des recommandations à l’endroit des décideurs, des autorités universitaires et des professionnels de l’information pour une meilleure accessibilité de l’information.

Pouvez-vous nous donner plus de détails sur votre sujet de thèse ?

Dans les pays du Nord, les étudiants disposent d’une multitude de sources numériques et imprimées ainsi que de nombreux outils de recherche pour réaliser leurs travaux universitaires. La réalité est encore toute autre dans les universités africaines, particulièrement au Burkina Faso où l’accès des étudiants à ces ressources est limité. Les études sur le comportement dans la recherche d’information ont été menées surtout dans d’autres espaces géographiques qui ont des réalités très différentes, notamment sur le plan économique (Canada, États-Unis, France, Italie, Émirats arabes unis, etc.). Par comparaison, l’accès aux sources informationnelles scientifiques et informatiques dans ces pays est résolument plus facile. Nous avons ciblé particulièrement dans notre étude les étudiants au doctorat en médecine, car ils ont des besoins d’information de nature différente en raison de leurs activités de recherche et, éventuellement, de l’exercice de leur profession. L’une des particularités de la médecine est de nécessiter de l’information de pointe. Et l’accessibilité à cette information de pointe est précisément ce qui est problématique dans les pays en développement.

Les principaux résultats montrent que les bases de données en accès libre sur le Web ou offertes gratuitement (comme Hinari) sont les outils les plus utilisés, tandis que les bases de données locales des bibliothèques ou en ligne des centres de ressources sont peu utilisées. Les critères qui priment dans le choix des sources d’information dans ces bases de données sont l’accessibilité, la portabilité et la facilité d’utilisation.

En outre, les collègues étudiants, les aînés, certains membres de la parenté et évidemment les directeurs de thèse, sont plus souvent sollicités par les étudiants dans leur recherche d’information ; les bibliothécaires sont relégués au deuxième plan.

Parmi les principales barrières qui influencent le comportement dans la recherche d’information des étudiants, on peut citer le coût d’achat des articles scientifiques, les frais d’abonnement à Internet, les problèmes de délestage, la lenteur et l’instabilité de la connexion Internet, les ressources limitées des bibliothèques universitaires, la rareté des outils et des sources informationnelles spécialisées en français et la rareté de la documentation rapportant des résultats d’études réalisées en contexte africain. Nos résultats indiquent également que les étudiants ont des compétences informationnelles insuffisantes, eu égard au nombre limité de formations reçues et offertes dans le domaine.

Avec la surabondance des données sur Internet, les Fake news, quelles recommandations pouvez-vous faire aux usagers ?

Même s’il y a une surabondance de données sur Internet, il faut noter que dans les pays en développement l’accès à cette surabondance reste souvent limité pour les données scientifiques. Les données disponibles sur Internet sont de qualités diverses, il y a des données faussement scientifiques, des Fake news, etc. Lorsqu’on a accès à cette surabondance, que ce soit au niveau des données scientifiques ou des informations de toutes natures, on doit donc pouvoir évaluer leur qualité en se référant à certains critères : la pertinence du contenu, la fiabilité des sources d’information, la réputation de la source ou de l’auteur, l’objectivité de l’information et l’actualité du contenu. Tous ces critères doivent être appliqués pour évaluer un article de revue, un livre, un site Web ou toute information repérée sur Internet.

Que pensez-vous de l’état de la bibliothéconomie et de l’archivistique au Burkina ?

La bibliothéconomie et l’archivistique peinent à se faire une bonne place au Burkina, mais il y a lieu de distinguer deux volets, celui de l’environnement structurel et juridique, et celui de la formation professionnelle.

Depuis sa création en 2000, la Bibliothèque nationale du Burkina manque de visibilité au plan national et international. L’État a octroyé plusieurs hectares pour la construction de son siège, mais cette perspective reste toujours au stade de projet. Depuis l’adoption de la loi sur le dépôt légal en 1996, les acteurs concernés sont de plus en plus sensibilisés sur la nécessité de la collecte et du regroupement du patrimoine national et s’y emploient quotidiennement. Ce qui posera à terme le problème d’espace pour la conservation des œuvres collectées. Il faut toutefois louer les efforts des professionnels de cette structure qui, en dépit de la modestie des ressources, parviennent régulièrement à publier des bibliographies nationales rétrospectives.

Dans le domaine des archives, l’Assemblée nationale a adopté le 22 octobre 2019 une nouvelle loi 047-2019/AN sur les archives au Burkina Faso. Cette nouvelle loi abroge celle de 1998.

Au niveau de la formation professionnelle, trois institutions offrent des formations aux étudiants. Nous avons d’abord l’Institut des sciences et techniques documentaires (ISTID), qui depuis 2005 prépare des diplômes d’État dans la filière d’archivistes, de bibliothécaires et de documentalistes. Ensuite, il y a l’Université Norbert Zongo qui depuis la rentrée universitaire 2010-2011 offre les mêmes filières de formation d’archivistes, de bibliothécaires et de documentalistes. Enfin, depuis 2011 l’École nationale d’administration et de magistrature (ENAM) offre trois niveaux de formation à l’archivistique : aides-archivistes, archivistes d’État et conservateurs d’archives.

Une autre opportunité de formation existe avec l’Agence universitaire de la francophonie (AUF) qui subventionne une partie des frais de scolarité afin que certains professionnels du Burkina Faso puissent se former à l’EBAD (École de bibliothéconomie et d’archivistique de Dakar) ; cela se fait par les formations ouvertes et à distance. Mais ce soutien se limite au niveau Master. Aucune bourse n’est octroyée au Burkina pour que ces étudiants de niveau Master puissent faire le doctorat dans le domaine. Nous déplorons cet état de fait. Le Burkina Faso a besoin d’enseignants-chercheurs en bibliothéconomie, en archivistique et en muséologie. Par exemple, le PCBF (Programme canadien des bourses de la francophonie) pourrait octroyer également des bourses d’études à nos collègues documentalistes et archivistes des Ministères pour se faire former au Canada ou en France. Nous avons remarqué que le PCBF octroie déjà cette bourse aux archivistes et documentalistes de la Fonction publique béninoise pour se former au Canada.

D’une façon générale, avec l’avènement des TIC, pensez-vous qu’il faut repenser notre modèle de formation ? Et pourquoi ?

En milieu universitaire, oui, il faut repenser notre modèle de formation qui doit tenir compte d’un référentiel de compétences informationnelles. Il faut doter les élèves et étudiants de compétences informationnelles et numériques. Dans certains pays développés, il existe un référentiel de compétences informationnelles en enseignement supérieur. Il serait intéressant d’adapter ce modèle de référence aux universités du Burkina Faso. Des compétences informationnelles sont nécessaires pour utiliser les outils et les sources d’information disponibles dans notre univers informationnel.

Quelles suites envisagez-vous donner à vos recherches ?

Nous espérons que l’étude que nous avons menée contribuera à l’avancement des connaissances dans le domaine des sciences de l’information en général et dans le milieu universitaire au Burkina Faso en particulier. Et cela à travers l’enseignement, la recherche et l’appui institutionnel dans le domaine. Nous pensons que la thèse réalisée est une contribution importante pour la communauté universitaire, la communauté scientifique et professionnelle dans le domaine de la bibliothéconomie et des sciences de l’information.

Les résultats de notre étude, combinés à notre expérience professionnelle et à notre connaissance approfondie du milieu, nous permettent de formuler des recommandations pratiques visant à réduire les obstacles auxquels sont confrontés les étudiants dans leur processus de recherche d’information. Les propositions faites concernent autant l’offre de services et de formations dans les bibliothèques universitaires et centres de ressources qui desservent des populations similaires que la conception d’outils de recherche ou l’élaboration de politiques sur l’accès libre.

Et pour conclure ?

L’information est une ressource capitale pour le développement de nos pays. Comme solution aux différentes difficultés liées à son accès, je lance un appel aux autorités politiques et universitaires et aux organismes subventionnaires de partout dans le monde pour qu’ils travaillent à la promotion de l’accès libre à l’information scientifique créée par la recherche. Cela peut se faire de plusieurs façons, incluant la publication dans des revues en accès libre, mais aussi l’archivage d’articles en prépublication dans les dépôts institutionnels, disciplinaires, nationaux, etc., et ce, sans embargo. Il convient de préciser que depuis janvier 2018, il existe une archive scientifique panafricaine ouverte, créée et gérée par le CAMES (Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur), le DICAMES (Dépôt institutionnel du CAMES), réalisée en collaboration avec une équipe de l’Université Laval au Canada.

Cette base de données vise la conservation et la diffusion de toute la production scientifique des institutions d’enseignement supérieur des pays africains de l’espace CAMES. Ce projet nous tient également à cœur et si ce genre d’initiative perdure et se développe, cela aura pour effet d’accroître l’accès aux publications scientifiques, notamment celles rapportant des études réalisées en contexte africain, comblant ainsi un besoin souvent exprimé par les participants à notre recherche.

Je tiens à adresser mes sincères remerciements à mon jury de soutenance composé des professeurs Vincent Larivière, président-rapporteur, Audrey Laplante, directrice de recherche, et Christine Dufour, pour l’EBSI, et de Chérifa Boukacem-Zeghmouri, professeure en sciences de l’Information et de la communication, Université de Lyon – UCB Lyon 1 (France), à titre d’examinatrice externe. Jian-Yun Nie, professeur titulaire, Département d’informatique et de recherche opérationnelle, agissait comme représentant du doyen de la Faculté des arts et des sciences. Merci également aux responsables de l’Université Joseph Ki-Zerbo, à tous les étudiants de l’UFR/SDS qui ont participé à cette recherche et à tous ceux qui m’ont soutenue dans la réalisation de ce projet. Et merci de me donner la parole pour parler de ces disciplines qui ne sont pas très connues.

Yann Désiré Ouédraogo




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